L'AFFAIRE DES HLM

Publié le par balkaland

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30 millions de francs égarés sur le compte de Balkany

L'ex-député-maire de Levallois est rattrapé par l'affaire de l'office HLM des Hauts-de-Seine.


Au départ était l'affaire des HLM de la Ville de Paris. Sous la houlette du juge Eric Halphen, les enquêteurs élargirent leurs recherches en direction des Hauts-de-Seine, fief du RPR et de Charles Pasqua. De Je à Tiberi, les caméras se déplacèrent vers les deux patrons des HLM dans le département, deux compères de toujours, amis en affaires comme dans le privé: Patrick Balkany, alors député-maire RPR de Levallois-Perret, et Didier Schuller, grand amateur de homards et de chasse.


Nous étions à la fin de l'année 1994, lorsqu'une incroyable machination fut démasquée, visant à ternir la réputation du juge Halphen en remettant une somme de 1 million de francs à son beau-père. Machination qui a atteint son objectif, puisque le juge a été dépossédé du dossier au profit de deux de ses collègues, Philippe Vandigennen et Serge Porteli. On n'en a plus entendu parler pendant cinq ans. Des années durant lesquelles Balkany fut rattrapé par d'autres dossiers, moins lourds mais tout aussi dévastateurs, pour avoir employé des salariés de la mairie dans ses résidences privées. Cette fois, avec sa mise en examen, le 16 mars, on est au coeur du sujet: les marchés passés par l'office HLM au temps où Balkany en était le président. Comme à Paris, les appels d'offres ne se déroulaient pas dans la plus grande transparence. C'est le moins qu'on puisse dire ! Les comptes en banque de l'ancien député-maire sont passés au crible. Et, surprise énorme: on découvre que 30 millions de francs y auraient notamment transité au milieu des années 90, selon le Parisien, en provenance d'une société suisse. Schuller s'étant éclipsé (pour toujours) du côté des Antilles, Balkany se retrouve seul en première ligne.


Un simple exécuteur des opérationnels du groupe Elf ?

Perfectionnant à un niveau rarement égalé des pratiques en usage dans de nombreuses grandes entreprises privées, Sirven partageait quelques-uns de ses secrets avec d'autres responsables du groupe pétrolier. Dans une interview récemment accordée à l'Express, Loïk Le Floch-Prigent, défendant son homme de confiance, a rappelé que, en matière de lobbying, Sirven se contentait d'exécuter des décisions prises par les opérationnels d'Elf. Mais ceux-ci se sont bien gardés jusqu'à présent de révéler quelles étaient ces décisions. Le Floch lui-même, malgré six mois de détention à la prison de la Santé, a toujours affirmé que, s'il était informé, comme ses prédécesseurs, du montant global des sommes distribuées, il ignorait le nom des destinataires finaux de ces fonds, notamment lorsque ceux-ci, après d'exotiques périples, regagnaient la France. Incarcéré pour la seconde fois, Alain Guillon, l'ancien responsable raffinage d'Elf, sur les comptes duquel ont circulé près de 100 millions de francs, n'a également rien concédé aux enquêteurs. Quant aux intermédiaires engagés par Alfred Sirven, tel Hubert Leblanc-Bellevaux, l'ancien conseiller politique de Michel d'Ornano, énarque engagé sur les dossiers allemand et espagnol du groupe, surnommé «007» en raison de sa conduite solitaire, il est resté à la hauteur de sa réputation. Insaisissable et muet comme une carpe.


Mais Alfred, lui, n'aurait aujourd'hui plus aucune raison de se taire. S'il était repris après sa longue échappée, et privé des 100 millions de francs placés en Asie, qui ont financé son périple et permis d'acheter le silence de son entourage, ce baroudeur vieillissant aurait tout intérêt à se métamorphoser en Alfred la Balance. Par fidélité envers ceux de son clan éclaboussés par le scandale, pour réduire la durée d'un séjour derrière les barreaux. Mais aussi pour se venger de ceux qui, au coeur de l'Etat, malgré les services rendus, n'ont pas pu lui éviter l'exil.


Alfred Sirven avait ses entrées (discrètes) à l'Elysée

Nommé en 1989 à la présidence d'Elf-Aquitaine, entreprise nationale, Loïk Le Floch-Prigent a toujours affirmé avoir expliqué au président Mitterrand le fonctionnement intime de sa nouvelle maison, «gaulliste de la tête aux pieds», et signalé l'existence de circuits de versements de commissions aux retours politiques incontrôlables. Le président socialiste aurait alors demandé à l'industriel de ne rien changer aux pratiques en vigueur. Alfred Sirven, qui avait ses entrées (discrètes) à l'Elysée, par l'intermédiaire du publicitaire André Magnus, pourrait détailler devant un tribunal pourquoi des passe-droits ont été accordés à la première entreprise nationale par le chef de l'Etat. Et pour quelles raisons, après avoir un temps combattu André Tarallo, l'incontournable Monsieur Afrique du groupe, il a fini par s'entendre avec ce Corse doté d'antennes internationales. En effet, après 1991, Tarallo gardera la haute main sur les circuits financiers traditionnels d'Elf: d'une part, la Fiba (une banque majoritairement détenue par des capitaux gabonais); et, d'autre part, les portefeuilles de participations financières du pétrolier chapeautés par une société suisse, la Sofineg. De son côté, Sirven prendra possession d'Elf-Aquitaine International (EAI), une coquille qui rémunérait des salariés, mais aussi divers «experts» français et étrangers...


Selon une liste de 44 bénéficiaires de versements, envoyée anonymement aux magistrates Eva Joly et Laurence Vichnievsky, EAI a, dans un premier temps, «traité» des mitterrandiens: André Magnus (75 000 F mensuels), Christine Deviez-Joncour, la maîtresse de Roland Dumas (40 000 F), Jacques Maroselli (19 000 F mensuels) et Laurent Raillard (50 000 F), partenaire de golf du président socialiste, dont Elf a acquis, par ailleurs, la propriété à un bon prix (opération qui vaudra au groupe les compliments de Mitterrand). Puis, diversifiant ses appuis, Alfred Sirven a rapidement compté, parmi ses protégés, quelques RPR bon teint, comme Jean-Jacques de Peretti (50 000 F de salaire et une carte de crédit à disposition pour ses notes de frais) et des proches de Charles Pasqua, Daniel Leandri (55 000 F par mois puis 1 million par an) et François Antona (30 000 F mensuels). Mais la première liste fournie aux juges était loin d'être exhaustive...


Dans leur enquête, L'homme qui en sait trop* ,les journalistes Gilles Gaetner et Jean-Marie Pontault affirment que les largesses d'Elf en Suisse auraient profité à plus de 200 bénéficiaires. Parmi ceux-ci, des ministres, de droite comme de gauche, auraient reçu 150 000 F par mois. A ceux-là s'ajouteraient, deux anciens locataires de Matignon, qui auraient eu droit à des faveurs identiques. Révélations qui laissent songeur, quand on pense au carnet d'adresses fourni d'Alfred...


Des affinités avec le giscardisme et les libéraux républicains

Proche de Michel d'Ornano, rencontré en Normandie lorsqu'il travaillait à la direction des ressources humaines de Moulinex, le directeur général d'Elf se vantait, du temps de sa splendeur, de ses affinités électives avec le giscardisme. Il affirmait fréquenter Georges de La Loyère, le financier de l'ancien président Valery Giscard d'Estaing, et Renaud Donnadieu de Vabres. Parmi les salariés d'EAI figureront, d'ailleurs, entre 1989 et 1993, deux Faucigny-Lucinge, célèbre famille apparentée aux Giscard d'Estaing. Dans les rangs de la droite, Alfred Sirven, éclectique, s'intéressait également à d'autres figures de premier plan. Il était en affaires avec la banquière Gilberte Beaux, qui longtemps planifia la carrière politique de l'ancien Premier ministre Raymond Barre. Du côté des libéraux républicains, il affichait ses relations avec Alain Madelin, l'actuel président de Démocratie libérale, et Gérard Longuet, l'ancien ministre de l'Industrie. C'est d'ailleurs un membre du PR, Yves Verwaerde, que Sirven enverra en Angola pour développer des liens avec Jonas Savimbi, le leader de l'Unita en rébellion contre le président marxiste au pouvoir à Luanda. A cette époque, l'ancien député européen deviendra, en Suisse, l'ayant droit économique d'un compte «Salade», crédité de 20 millions de francs. Questionné en 1999 par les juges, il se défendra d'avoir encaissé des fonds pour son parti, affirmant, au contraire, avoir collecté au profit de l'Unita les dons de différents leaders africains. Des explications qu'Alfred Sirven, s'il se décidait à dévoiler ses secrets, pourrait bien contredire...


Des dizaines de millions de francs rapatriés dans l'Hexagone

Sur sa lancée, l'ancien directeur général d'Elf pourrait également raconter comment, après s'être intéressé à un dossier de redressement d'une ancienne usine corrézienne de Bidermann, il serait resté en contact avec Patrick Maugein, un ami fidèle du président Chirac. Tout en entretenant des liens étroits avec Pierre Guillen, le patron de l'UIMM, le puissant syndicat patronal de l'Union métallurgique et minière qui, au début des années 90, s'est mobilisé pour promouvoir la candidature à l'Elysée de Michel Rocard. Selon de bons connaisseurs du dossier, Alfred Sirven a, pendant des années, rapatrié des dizaines de millions de francs dans l'Hexagone, après avoir rendu leur origine indécelable par de multiples manipulations bancaires. Les intermédiaires: des passeurs employés par de vénérables institutions bancaires établies en Suisse, au Luxembourg, au Liechtenstein ou à Monaco. Ces fonds d'Elf auraient alors été livrés dans des valises à leurs destinataires. Ou collectés dans d'épaisses enveloppes que le directeur général du groupe distribuait lui-même. On imagine donc sans peine les dégâts sur la scène politique française que provoquerait Alfred Sirven, s'il révélait les noms de ces visiteurs de passage...


Le retour d'un Alfred devenu bavard pourrait, en outre, secouer d'autres régimes. En Afrique tout d'abord, où cet homme de l'ombre rusé a su s'informer sur les nombreux circuits existant dans l'entourage des présidents gabonais et congolais. Autre terrain miné: l'Allemagne, où la CDU connaît une crise sans précédent depuis que les opposants de l'ancien chancelier Helmut Kohl le soupçonnent d'avoir favorisé le versement à l'homme d'affaires Dieter Holzer d'une commission d'environ 180 millions de francs, à l'occasion du rachat par Elf de la raffinerie Leuna en ex-Allemagne de l'Est. Car c'est un proche de Sirven, Hubert Leblanc-Bellevaux, qui a organisé ce transfert de fonds, par le biais d'une première société appartenant à l'intermédiaire André Guelfi, dit Dédé la Sardine. C'est ce même Leblanc-Bellevaux qui, en Espagne, a négocié les frais de lobbying, jugés excessifs par certains membres de la direction financière d'Elf, du rachat des stations-service Ertoil à l'homme d'affaires irakien Nadmi Auchi. Une opération très complexe, qui intrigue de plus en plus les juges françaises, et qui pourrait exporter le scandale Elf de l'autre côté des Pyrénées. En attendant d'autres révélations...
 

Lundi 20 Mars 2000 - 00:00
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